Article 51 et PECAN : Des outils utiles pour optimiser la stratégie d’accès au marché des DM ?
Une quinzaine de dirigeants se sont retrouvés dans les locaux de BlueGriot, autour d’un sujet : comment faire en sorte qu’une innovation numérique en santé puisse être réellement adoptée et diffusée commercialement ? La matinée s’est articulée en deux temps :
- Une visite de BlueGriot, pour comprendre comment une technologie peut être développée et répondre à des besoins concrets du secteur médical ;
- Une table ronde autour de la stratégie d’accès au marché et des outils “Article 51” et de “Dispositif PECAN”, animée par Thomas Riquier, Directeur Market access Digital de Medical Hub SAS
De la technologie à l’usage
La visite de BluegrIOT a permis d’illustrer le rôle clé des objets connectés dans la transformation des soins. L’entreprise développe des capteurs embarqués, des boîtiers intelligents et des interfaces homme-machine, capables de collecter, analyser et restituer des données en temps réel. BluegrIOT permet de concevoir des pré-séries industrielles de qualité CE.
Ces solutions montrent bien que l’innovation technologique, aussi brillante soit-elle, n’est qu’une première étape. Le véritable défi est de convaincre les acteurs du soin, les institutions et les financeurs que cette innovation a un impact réel sur la santé, l’organisation des parcours et sur le coûts de soins. C’est précisément ce qu’illustre la thématique de la matinée : l’accès au marché.

Article 51 et PECAN : deux leviers utiles, mais pas des solutions magiques!
La table ronde a ensuite réuni plusieurs témoins qui ont partagé leur retour d’expérience :
- Ensweet : la plateforme de télésurveillance médicale – ayant bénéficié d’un projet Article 51 pour évaluer un nouveau parcours de réadaptation cardiaque et de prévention cardiovasculaire. Le témoignage de Fabien, le CEO, a montré que l’Article 51 peut être un formidable laboratoire d’expérimentation, permettant de tester un modèle organisationnel et financer en conditions réelles, sur un territoire donné l’usage du produit afin de convaincre les établissements et les décideurs de l’intérêt de la solution.
- Newcard : à l’inverse, cette entreprise spécialisée dans la télésurveillance de maladies chroniques cardiaques, n’a pas pu bénéficier de ces dispositifs et a dû essuyer les plâtres de la mise en place de l’évaluation puis du remboursement des solutions de télésurveillance sur un autre programme du Ministère de la santé : le programme ETAPES. Leur expérience a illustré les difficultés d’une approche “hors cadre”, où chaque étape – convaincre les hôpitaux, sécuriser un modèle économique, lever les freins réglementaires – devient plus longue et plus risquée, malgré les forfaits de compensation mis en place : une véritable compétition sur le produit avant l’heure.
- THRD, biotech pivotée vers une application numérique pour accompagner les patients atteints de troubles thyroïdiens : leur interpellation a été à l’origine de la rencontre. Leur question de fond : faut-il vraiment passer par Article 51 ou PECAN pour réussir ?
Article 51 : un laboratoire grandeur nature
Pour rappel, l’Article 51 a été conçu pour évaluer de nouvelles organisations de soins basée sur des innovations technologiques, en rupture avec le droit commun. Il permet de lancer des expérimentations par les acteurs du terrain sur un périmètre limité (pathologie, territoire, parcours) en association avec les porteurs de technologie. Ce n’est donc pas un véritable remboursement mais un usage protocolisé proche de la vraie vie, en partie financé.
Si l’article 51 peut être un moyen utile d’évaluer l’impact d’une innovation, de la diffuser auprès des professionnels de santé et de convaincre les investisseurs de l’intérêt de l’innovation, les discussions en ont montré les difficultés : monter un protocole Article 51 est complexe, et l’évaluation de la candidature peut être très subjective ce qui souligne le fait que le projet doit être porté par un collectif solide et ayant déjà cultivé un fort lien avec l’écosystème médical et institutionnel.
Les résultats obtenus via l’article 51 a ainsi permis dans le cas d’ENSWEET d’être reconnu comme une solution de téléréhabilitation de référence, recommandée par l’HAS et par les sociétés savantes !
Loi PECAN : un accélérateur temporaire de mise sur le marché
Le dispositif PECAN (Prise en charge anticipée numérique) permet une prise en charge dérogatoire d’un an par l’Assurance Maladie, pour des solutions numériques suffisamment matures (marquage CE acquis) mais pas encore intégrées au droit commun. Il permet aussi aux innovateurs d’obtenir les données médico-économiques nécessaires pour l’obtention du remboursement du dispositif avec les données recueillies au fil de l’eau en dehors des conditions strictes des essais cliniques.
C’est une véritable opportunité de market access, un vrai coup de pouce très (trop ?) temporaire pour accélérer le time-to-market, mais avec des conditions exigeantes : preuves cliniques solides, modèle économique figé à l’avance, anticipation du dépôt de dossier (protocole défini et robuste, centres investigateurs identifiés, accord CPP) parfois deux ans en amont. Et surtout : à l’issue de l’année, il faut avoir prouvé sa valeur médicale et économique, faute de quoi le remboursement ne sera pas pérennisé. Les places sont chères : il y a peu d’élus.
Le vrai sujet : la stratégie d’accès marché
Oui, l’Article 51 et le PECAN sont des outils puissants. Et non, ils ne suffisent pas. Ce qui fait la différence, c’est finalement la stratégie globale de market access dans laquelle ils peuvent s’inscrire comme des leviers pertinents ou non.
Quelques enseignements partagés :
- Stratégie concurrentielle : l’accès marché est une course contre la montre. L’activation d’un dispositif parfois long, doit se décider en fonction du paysage concurrentiel, des volumes visés et du prix acceptable.
- Préparation technique : franchir les verrous réglementaires est coûteux, mais c’est souvent ce qui crée un avantage compétitif durable.
- Timing financier : la pression interne n’est pas la même avant ou après une levée de fonds. Mal caler son accès marché peut mettre en danger l’équilibre économique de la société car atteindre ces objectifs demande de l’investissement.
- Gestion des risques : anticiper un possible échec, préserver la réputation et savoir pivoter rapidement, en maintenant la confiance dans l’entreprise et son produit, alors que le « ROI » n’est pas immédiat : c’est une rampe de lancement.
Des défis très concrets
Les participants ont aussi insisté sur les obstacles quotidiens auxquels se heurtent les startups santé :
- Budgets hospitaliers éclatés : entre DSI, biomédical, pharmacie et services cliniques, la décision d’achat devient un parcours du combattant.
- Change management : les solutions numériques bouleversent les métiers et les organisations, en déléguant certaines activités à de nouveaux acteurs (infirmiers, kinés, coachs santé).
- Propriété des données : la clarification de qui détient, exploite et valorise les données de santé reste un enjeu majeur.
- Segmentation des marchés : certaines innovations ne peuvent exister sans remboursement, d’autres peuvent trouver un modèle en B2B ou en direct patient permanent ou intermédiaire en pré-remboursement.
Une conclusion partagée : penser collectif
Au bout du compte, la réussite ne se mesure pas à l’obtention d’un Article 51 ou d’une PECAN, mais à la capacité d’une entreprise à les utiliser pour transformer une innovation en solution adoptée, financée et diffusée à grande échelle.