« Comment la filière agroalimentaire s’adapte au changement climatique ? » – Retour sur la conférence du 22 février

Le 22 février dernier, Euralimentaire, Euratechnologies et le Clubster NSL s’associaient pour proposer une table ronde et questionner l’impact du changement climatique sur l’ensemble de la filière agroalimentaire, de la production à la transformation jusqu’au consommateur.

Etaient réunis autour de la table Mickaël Poillion, éleveur ; Adrien Delepelaire, directeur adjoint chez Foodbiome ; Patrick Lesueur, Directeur prospective et développement chez Bonduelle ; Matthieu Vincent, fondateur du DigitalFoodLab ; et Richard Boucherie, conservateur du Centre régional des Ressources génétiques.

Le sujet a rapidement dévié vers la crise agricole que nous connaissons, semblable à une équation aux innombrables inconnues…

Pour tenter de résumer une question si complexe, profonde, qui impacte toute la société, nous vous proposons une synthèse des échanges, pour réfléchir par vous-même aux questionnements soulevés :

  • La question énergétique: Le modèle agricole que nous connaissons est majoritairement bâti sur l’utilisation d’énergies fossiles et de l’agrochimie, avec une logique de standardisation, massification et d’optimisation des rendements au m². En fin de course cette organisation a permis d’assurer une alimentation accessible en quantité et une diminution des prix pour le consommateur, mais aussi un positionnement géopolitique agricole fort. Avec la fin annoncée des énergies fossiles à bas cout, l’enjeu de la ressource énergétique devient incontournable.
  • La question hydrique: Le changement climatique va rebattre les cartes de la disponibilité en eau des territoires. C’est l’un des sujets les plus préoccupants pour la filière, qui risque s’il n’est pas porté à bras le corps, de créer de fortes tensions et inégalités. Les réponses possibles pour éviter la politique du « premier arrivé premier servi » : la planification, mais aussi l’adaptation génétique.
  • La question du prix: « nous n’achetons pas les aliments à leur prix réel », sous-entendu une partie des couts de la chaine de valeur, de la production au régime alimentaire du citoyen n’est pas intégrée dans le prix des produits. Une réponse possible pour un équilibre et nivellement des prix : l’apposition d’une taxe ou un bonus/malus économique étendu sur les couts et impacts considérés comme « cachés » qu’ils soient environnementaux, sociaux ou sanitaires : appauvrissement et érosion, pollution des sols et des eaux, surutilisation de la ressource en eau, impact sur la santé (diabète, obésité…), produits importés…Deux problématiques émanent de ce constat : ces couts « cachés » sont difficiles à évaluer et à répercuter, et surtout le consommateur est-il prêt à les accepter sachant que le prix reste à ce jour le premier (et de loin) facteur déterminant à l’achat ?
  • La question de la sécurité alimentaire et du modèle de production: Pour assurer notre sécurité alimentaire (et celles d’autres pays du monde !) comment nous positionner entre une agriculture « de firme » ultra performante (en quantité/ha), hautement technologique (et donc à fort besoin capitalistique), peu utilisatrice de main d’œuvre, mondialisée ; Ou un modèle « sobre », agroécologique, moins gourmand en intrants, plus résilient, « traditionnel », connecté au territoire, mais aussi moins productif ? D’ailleurs faut-il nécessairement opposer ces deux visions ? chaque modèle répond à des enjeux et contraintes différentes : nourrir les masses, assurer un lien social, protéger les emplois… Comme souvent la réponse se situe probablement entre les deux, ou via une coexistence des modèles. Ajoutons à l’équation : la France (ou les territoires) peut-elle réellement être autosuffisante ? Quels seraient les impacts d’une fermeture totale à la mondialisation ? La question revêt plusieurs facettes : politique, géopolitique, économique, et sociétale.
  • La question sociale: rémunération des agriculteurs, déconnexion du consommateur à son alimentation, perte d’autonomie, inégalités sur la chaine de valeur. Ici aussi des initiatives se multiplient pour trouver une juste échelle via des réseaux de production et une mutualisation des compétences, c’est sur ces aspects que @foodbiome nous apporte une vision et des réponses concrète. L’intégration des filières et la gestion de contrats longue durée entre producteurs et transformateurs sont aussi des réponses possibles vers plus d’égalité dans le partage de la valeur, des aléas, et d’une vision commune liée aux réalités et aux évolutions de la consommation, comme nous le rappelle Patrick Lesueur (Bonduelle).
  • La question des ressources humaines et de la force de travail: C’est un fait, la main d’œuvre agricole se fait de plus en plus rare, les conditions sont difficiles, les salaires peu valorisés. Ce problème vient s’ajouter à l’équation. Une réponse possible : la robotisation, mais qui dit robotisation dit investissement, énergie, et surtout pose le problème de l’autonomie des exploitants vis-à-vis de solutions technologiques complexes…
  • La réponse variétale (qui soulève une question technologique et sociétale) : l’adaptation au changement climatique passera inévitablement par la mise en culture de nouvelles variétés. Quelles voies privilégier à L’ère des biotechnologies entre OGM, NBT, Variétés rustiques et résilientes, espèces exotiques (dont le consommateur français ne voudra peut-être pas). La réponse génétique est probablement entre les deux : des variétés productives (peut-être moins ?), mais aussi adaptatives et résistantes au manque d’eau ou aux agressions à l’image des variétés rustiques encore conservées aujourd’hui au Centre régional de ressources génétiques à la ferme du Héron à Villeneuve d’Ascq. Les nouveaux outils d’édition génomique (comme CrisprCas9) peuvent constituer une réponse à ce besoin d’adaptation rapide, mais les notions de contrôle, de l’intérêt général et de l’éthique quant à l’utilisation de ces techniques pourront elle prévaloir aux intérêts économiques des investisseurs sur ces nouvelles technologies ?
  • Sujet « délicat » s’il en est : la végétalisation des assiettes et la diversification protéique est une réponse possible vers un système plus durable : « mangez des haricots ! » nous conclut en beauté Richard Boucherie du centre de ressources génétiques. Le sujet est suffisamment documenté pour que nous ne nous étalions pas dessus. @inrae @mariedubot Terres univia
  • Enfin la question de la formation et l’information qui peut facilement être mis de côté : dans un système en bouleversement, les compétences techniques et la juste information sont indispensables pour appréhender les questions évoquées précédemment et les adapter sur le terrain.